Le cocktail qui nous est actuellement servi se résume en quelques mots : bonnes gens, dormez tranquilles … Puisqu’on vous le dit.
La "force tranquille" qui baigne cette affirmation nous projette dans une atmosphère qui paraît irréelle à bon nombre de nos concitoyens. C’est comme si le quotidien dans lequel nous sommes immergés est sans rapport, sans rapports même, avec celui que perçoivent le Président et ses conseillers, le Premier ministre, ses conseillers et le gouvernement.
Cette "immatérialité" de l’ambiance est renforcée par cette tonalité relativement particulière qui baigne les analyses des commentateurs, qui colore leur compréhension du présent comme leurs affirmations et fonde leur cécité quant à l’avenir.
Ce divorce entre leur regard sur le monde et ce que nous en vivons ne signifie pas qu’ils auraient "tort" et que nous aurions "raison" ou l’inverse. La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que la même réalité matérielle se traduit par des perceptions différentes ou, si l’on préfère cette autre formulation, que les mêmes faits sont décrits par des systèmes d’interprétation qui n’ont rien de commun.
Pour saisir l’origine ; la profondeur et les implications de la superposition de deux réalités aussi étrangères l’une à l’autre, il est nécessaire de tenter de reconstituer les représentations du monde qui les génèrent.
[Ah oui ! Les "Humeurs stratégiques" pensent qu’il leur est inutile d’aborder le sujet si actuel de l’amoralité en politique. Elles se permettent, néanmoins, de vous signaler "l’opinion" de madame DELSOL parue à la rubrique "opinions" du journal Le Figaro en date du 4 avril 2013.]
Depuis son accession au pouvoir, le gouvernement actuel, réuni sous l’autorité du Président de la République, a lancé un certain nombre de débats, créé un certain nombre de comités et de commissions, pris un certain nombre de décisions. Déblayer le terrain, préparer l’opinion à de nouvelles démarches, l’objectif de cet ensemble de mouvements est clairement désigné : à la fin du quinquennat, l’inversion de la courbe du chômage, la réduction du déficit budgétaire, le désendettement de la Nation, la croissance auront présenté des évolutions spectaculaires.
Certes, après une dizaine de mois d’activité(s), il est un peu tôt pour juger d’une action qui doit se développer sur cinq ans, mais il est des slogans, même s’ils ne sont que de "campagne", dont la brutale simplicité colle aux oreilles des électeurs, surtout à celles des moins "avertis". Ainsi de ce "Le changement, c’est maintenant". D’autant plus que l’actualité quotidienne, malgré des efforts répétés et permanents de la plupart des commentateurs" pour en faire ressortir des aspects positifs, se présente dans une déconcertante ambiance de "déjà vu".
Alors, sur quoi pourraient reposer les mesures qu’on nous propose, qu’on nous impose et qui sont supposées porter des fruits à la fin de l’année, déjà ?
La première des questions que nous pourrions nous poser est de savoir quelle lecture donner au comportement actuel de l’appareil de gouvernance. Qu’est ce qui pourrait motiver le choix des sujets offerts à la discussion publique, comme celui du "mariage pour tous" (notons au passage, l’incongruité de l’intitulé sous lequel le range l’opinion publique) ?
Certains, un grand nombre même, accusent le Pouvoir d’éviter de parler des "choses sérieuses", la situation économique, le chômage, l’équilibre budgétaire… etc… Oh, certes, il n’est pas de discours officiel qui ne s’y réfère en nous promettant que "ça" ira mal, beaucoup plus mal, avant que "cela" ne commence à aller mieux. L’horizon, nous dit-on, est dégagé… mais comme le faisait remarquer si justement un humoriste, le propre de l’horizon est d’être "une ligne imaginaire qui recule à mesure que l’on avance". Fâcheuse définition ! En fait, tout se passe comme si notre appareil de gouvernance considérait le retournement de la conjoncture non seulement comme une probabilité mais même comme une certitude…
Un retour inéluctable à la croissance à un "fonctionnement harmonieux" du concert économique international. Quand ? Mais incessamment sous peu ! Un raisonnement inattaquable : quelle que soit leur magnitude, les crises économiques jusqu’ici ont duré entre cinq et sept ans. En fixant à 2007, l’origine de celle que nous vivons actuellement, sa fin devrait (aurait dû… même) intervenir entre fin 2012 et 2014. D’où ce postulat qui paraît autrement incompréhensible, d’un changement d’allure à la fin de cette année.
Comment ? Le problème n’est pas là ! Mais, on peut imaginer quelques scénarii tous aussi phantasmatiques que la foi en la reprise précédente. Pour commencer une reprise américaine. La Chine, l’Amérique du Sud, l’Inde, pourquoi pas Chypre et son gaz…, devenus moteurs d’une consommation retrouvée et/ou un brusque rejet international de l’austérité sous toutes ses formes, un "raid" général sur les économies sauvegardées précieusement et une fringale de consommation, une annulation planétaire de toutes les dettes nationales ou particulières. Bref, une déclaration universelle de faillite, même ! Quelques pistes intéressantes, non ? Oui sans doute, mais aussi farfelues que de continuer à croire que la lutte contre le chômage est une voie vers la création d’emplois.
Reste évidemment une dernière hypothèse : une bonne petite guerre ! Une bonne petite ? Non, une guerre sale et destructrice, rien que des ruines et des cadavres. Le financement des opérations, quelle qu’en soit la nature, revenant, en fait, à une déclaration de faillite civile avec, au bout, une gigantesque campagne de reconstruction. En somme, un avril 1945 planétaire dans un climat de planche à billets, d’inflation, de plein emploi. La routine, quoi !
Hélas (si on peut dire) les récents engagements, Iraq, Iran, Afghanistan, Libye, Mali ont montré que leur impact sur l’économie des puissances engagées était nul. Les conditions nées de la mondialisation, de l’interdépendance des économies, de l’internationalisation des investissements ont rendu cette solution inadaptée, impraticable même.
Alors ? Alors cela signifie que la scie à métaux ne peut être substituée à la découpe au laser et que la "boîte à outils" du plombier de village doit être rangée sur les présentoirs des musées.
Le "pourquoi" de l’état actuel des choses comme celui de notre impuissance feront les beaux jours des recherches des "spécialistes " de demain. Ce qui nous importe, c’est d’imaginer d’autres issues, d’autres voies, d’autres propositions de nature à entrainer la participation consciente des populations.
D’abord, accepter de ne comprendre rien, c’est-à-dire cesser de chercher la clef du présent dans les interprétations du passé. Admettre que les interprétations des phénomènes qui traversent notre quotidien, les démarches et les décisions qui les suivent sont fondées sur des hypothèses qui n’ont plus cours.
[La glorification de la consommation comme moteur de la croissance, par exemple. Quelles seraient les conséquences d’une injection d’argent public dans l’escarcelle des citoyens ? Sans doute une partie de la population s’em-presserait de "mettre de côté" les fonds mis à sa disposition pour faire face au pire de demain tandis que l’autre se jetterait sur des productions à bas prix… chinoises ou autres. Bénéfices pour la collectivité nationale ? Nuls !]
Relevons toutes les décisions et les mesures qu’elles ont inspirées et évaluons leurs conséquences.. Nous constaterons que depuis une décennie au moins, les problèmes qu’elles étaient supposées résoudre ont évolué au mieux sans être affectés, au pire se sont aggravés. Constatons, par conséquent, la faillite du modèle auquel nous nous obstinons à nous référer et admettons, enfin, qu’ il vaut mieux dans certains situations faire "n’importe quoi" que d’obéir à un schéma dont il est clair qu’il ne représente plus rien.
Faisons alors preuve d’humilité et faisons-le publiquement en tentant de raisonner sur les faits tels qu’ils se présentent. La première évolution de notre réflexion, sera de cesser de chercher des causes, des responsabilités, des responsables donc des coupables !
Des emplois sont supprimés ! Le "pourquoi" de ces suppressions est moins important que la recherche et la création d’autres emplois. Admettons , en l’absence d’autres analyses crédibles, qu’ils sont suppri-més parce qu’inutiles et qu’il est socialement dommageable de tenter de les maintenir. Changeons d’optique et tentons de créer de l’emploi. Admettons que toutes nos politiques de "lutte contre le chômage", dites de "traitement social", ont échoué. Admettons que cette lutte contre le chômage, déjà perdue, mobilise des crédits dont la réunion se traduit par un appauvrissement général, un manque de crédits d’investissements, le développement d’une civilisation de la taxation généralisée dont le caractère confiscatoire touche jusqu’aux plus petites gens. Admettons enfin, que le problème n’est pas le chômage mais l’emploi productif !
Le premier pas sur ce chemin doit être fait par les dirigeants du pays. Il est temps de dire aux Français quel est l’état réel de notre communauté. Que signifie notre endettement, que signifie le déséquilibre permanent du budget, comment se creusent l’un et l’autre et quelles vont en être, en sont déjà, les conséquences ? Comment engager une "politique de l’emploi" et en quoi
serait-elle différente de la politique dite de "lutte contre le chômage" ? Comment repenser cette politique, faussement prétendue sociale et solidaire (en fait une charité publique créatrice d’une clientèle d’assistés) pour en faire un véritable échange ?
Tout notre appareil économique est à revoir. Mais cette révision passe par la généralisation de la prise de risque et la création d’un climat qui baignera aussi bien les entrepreneurs que le personnel. Tout est à construire, tout est à inventer, à commencer par l’acceptation de cette évidence : l’inconnu ne peut être abordé qu’en acceptant l’insécurité comme une philosophie de vie.
La première conséquence de cette révision, certes déchirante de nos "a priori", sera de découvrir que le rôle de l’Etat n’est pas plus de sauvegarder des emplois que d’en créer. Le rôle de l’Etat est de faciliter la création d’emplois. Cette facilitation constitue la politique qu’il est indispensable de mettre en œuvre. Une telle politique comporte trois volets :
• un volet politique : une déclaration solennelle rendant compte de l’état des lieux, sans fard et faux semblants, désignant l’objectif à atteindre et l’état d’esprit de la reconquête.
• un volet structurel : une libération (pas une "libéralisation") du marché de l’emploi par une révision et une simplification drastique du code du travail ;
• un volet financier : une libération financière par une diminution drastique des charges qui pèsent sur les entreprises (aujourd’hui, un euro de salaire s’accompagne d’un euro de taxes) et leur transfert sur les particuliers, notamment par une augmentation de la TVA et une refonte du mode d’imposition.
Il s’agit d’une rupture totale avec le passé aussi bien sur le fond que sur la forme. Ce n’est pas une simple question de réduction de trains de vie et de partages plus équitables des résultats, c’est affaire de mise au point d’une organisation nouvelle. Nous sommes incapables d’en prévoir les détails, tout ce que nous pouvons imaginer, c’est qu’elle se construira tous les jours avec la participation de tous. La question qui se pose est celle de notre survie : survie individuelle, survie collective, survie en famille comme survie en Nation. Tout est possible mais dans le cadre de propositions claires, de tous connues et sans surprises à chaque réveil.
L’essentiel est de donner un sens à cette activité générale : inventer, créer des offres, investir, donc créer des emplois. Un comportement qui implique de prendre des risques. Mais il faut apprendre à tenir de vrais comptes : si les uns prennent des risques et engagent leurs avoirs , les "autres" doivent faire plus que de "vendre" leur force de travail au meilleur prix sous prétexte de partager des bénéfices qui ne sont encore inscrits que dans le futur.
La Patrie est en danger et la situation exige la participation de tous, sans exception aucune, quasiment une mobilisation générale. Une consultation s’impose qui, sans fouiller le moindre détail, pourrait proposer une philosophie, des choix, des objectifs précis en nombre limité, et des mesures. Un referendum donc, dont l’acceptation doit prendre valeur d’engagement des uns, ceux qui proposent, comme des autres, ceux qui acceptent.
Proposer ce referendum, c’est aussi attacher le destin du "meneur" à l’engagement des votants. Il s’agira, pour le temps d’une mandature, d’accepter la mise en sommeil de la plupart des "acquits" dont les bénéficiaires, rappelons-le, ne sont pas tous sur les mêmes barreaux de notre "échelle sociale".
L’état d’esprit devrait être celui d’un "nous remettons les compteurs à zéro" et nous cessons de faire de la culpabilité sociale la justification permanente de notre politique de prélèvements. Il est temps que cesse ce recours permanent à la punition publique sinon à la flagellation sociétale. Non, être riche ne constitue pas un crime et ne rend pas la contribution confiscatoire plus licite. Avoir du travail quand d’autres n’en ont pas n’est pas un privilège qu’on rachète par l’obligation d’une charité d’Etat. Il en est de même du logement, de la santé, bref de bien des manifestations de la vie quotidienne.
Cette philosophie apparemment solidaire qui a transformé en droits ce qu’apportait jusque-là la participation citoyenne à la création collective de richesse a stérilisé l’expression individuelle de la créativité au point de faire de la régression individuelle le ciment du groupe. Quelque chose comme le "je perds sur chaque exemplaire acheté mais je me rattrape parce que j’en vends beaucoup " d’un humoriste d’avant la deuxième guerre mondiale.
Ce serait à désespérer de la communauté si cette attitude qui porterait un armistice social et sociétal ne pouvait se traduire en une atmosphère de respect collectif. Si les capitaux fuient, si tant de citoyens mettent leurs avoirs "à l’abri", si la "triche" au niveau même le plus élémentaire (ne serait-ce qu’à l’entrée des transports collectifs), la responsabilité initiale de ces
comportements ne résiderait-elle pas dans un déséquilibre inhérent à notre système de gouvernance ?
[Le comportement de l’Etat vis-à-vis des automobilistes est un des exemples les plus frappants de cette "immoralité publique".
Certes, il pourrait être utile de limiter la vitesse (pourrait, car la relation "vitesse vs morts" sur la route n’est pas réellement établie, le dénombrement des victimes reposant sur une norme discutable) mais l’aspect de racket d’Etat que prend une verbalisation dont l’universalité est inacceptable est la manifestation même d’un comportement public qui pousse le citoyen au mensonge et au détournement ! A cet égard l’attitude d’un homme politique récemment épinglé apparaît comme anecdotique, si nous nous référons au comportement "ordinaire" de nos services publics ]
Alors ? Alors, et si nous tentions de cesser de croire qu’avec la bénédiction divine demain, sinon après-demain, pourraient voir le retour des bonheurs d’avant-hier ? Et si, dans la lancée, nous tentions de faire face à la situation d’aujourd’hui sans nous complaire dans une situation de victimes impuissantes ?
Qu’en pensez-vous ?
Romain JAOUD
[Les "Humeurs stratégiques" vous présentent toutes leurs excuses pour le retard de ce numéro.. Un retard dû à un aml ,(accident mus-culaire léger), sans gravité mais handicapant, subi par le maître d’œuvre.]
lundi 22 avril 2013 (Date de rédaction antérieure : avril 2013).