Une invitation au suicide collectif ?

"Quand ma bouche et mon bras sont en désaccord, je crois à mon bras" dit le sage chinois. Le bras de l’Etat vient de s’appesantir sur notre bourse. Après les promesses et les engagements, la réalité. Et la note est salée : un prélèvement d’environ 20% (plutôt plus) d’un revenu égal à 2,5 smic.

A ce prix là, deux choses au moins sont sûres. Côté offre, si l’imagination tentait de prendre le pouvoir, elle serait immédiatement stérilisée par une absence de capitaux à investir ; côté demande, une fois payés le loyer, les télécommunications, l’eau, le gaz et l’électricité, ce qui reste n’encourage pas le développement de la consommation.

Et tout ça, pour quoi ?


DES RÉFLEXES MOYENÂGEUX

Quelles que soient les paroles de la "chose" gouvernementale, son comportement est caractérisé par une incompréhension dramatique des mécanismes de création de la richesse, accompagnée d’un haine viscérale de celles et ceux qui s’y consacrent.

En nous bornant à adopter à la proposition de notre sage chinois préféré, essayons de suivre la pensée de nos dirigeants. Tout procède d’une vision du monde. En l’occurrence, celle qui semble animer le pouvoir actuel paraît limpide : le système capitaliste est animé de soubresauts périodiques où des périodes de "vaches maigres" succèdent à des périodes de "vaches grasses". Si "on" ne sait pas réellement ce qui crée cette succession, "on" semble avoir remarqué que la durée moyenne est de l’ordre de cinq à six ans. Bien que cette d’observation soit sujette à caution car elle ne tient pas compte des conditions propres à chaque moment de l’histoire, elle anime un personnel politique dont la formation initiale est totalement inspirée par un objectif de gestion. Nos dirigeants, énarques pour la plupart, sont d’abord des techniciens de la gestion. Leur obsession régulatrice les conduit à négliger totalement le rôle et l’influence de ce désordre révolutionnaire qui accompagne la liberté de penser, de créer et d’entreprendre. Bref, dans un univers de contrôles et d’apparents théorèmes, l’entrepreneur, au sens le plus large, est un danger car son activité est incontrôlable. Dans ces conditions, l’entrepreneur menace à chaque instant un équilibre d’autant plus instable qu’il est justement dominé par le refus d’envisager l’évolution permanente des situations.

Le décor est donc planté par le Pouvoir :

Principe fondamental

Pour des raisons que l’on ignore, le monde est en crise. Cette crise, compte tenu de notre connaissance du passé, doit durer de l’ordre de cinq ou six ans. Cette période étant écoulée, la vie reprendra son cours peu ou prou comme "avant"

La gestion actuelle est une gestion totalement primaire. Elle part de l’hypothèse que nos malheurs ont la crise comme origine et comme raison exclusives. Que la récession cesse et, après un temps de latence (ainsi que par le passé), les "choses rentrerons dans l’ordre". En quelque sorte, s’il n’y avait pas la crise tout serait "normal". Il en résulte qu’il suffit de se serrer la ceinture, d’augmenter les impôts, de tenter d’éviter des dépenses nouvelles et une fois les choses revenues au calme, les équilibres se rétabliront d’eux-mêmes. D’ailleurs n’est-ce pas ainsi que nous nous sommes sortis de la crise de 29 ? Il est assez surprenant de remarquer combien il a été fait allusion à cette dernière, au point d’ailleurs que s’était établie presqu’une typologie basée sur les évolutions de la décennie des années trente.

Conséquences  :

1• Le "pourquoi" étant inconnu, il n’existe pas de "comment" disponible, mais un calcul simple, sinon simpliste, nous permet de supposer (avec de très fortes chances - croit-"on") que le début de la crise étant fixé au début 2008, sa fin peut et doit se prévoir pour la fin 2013.

2• Le retournement de la conjoncture quasiment programmé, il ne reste plus qu’à l’annoncer comme assuré. Alors un seul problème demeure, celui de faire patienter la population.

3• Cet attentisme conduit à recourir à un ensemble de mesures, élégamment classées sous la rubrique de "traitement social" du chômage : multiplication de fausses solutions dont il est Inutile de tenter l’inventaire. Chaque jour, en effet, en voit naître, toutes aussi inefficaces que les précédentes. Mais elles présentent un point commun, celui d’être des emplois créés administrativement et qui, par conséquent, ne peuvent être marchands.

4• En outre, ces mesures bien que théoriquement prévues pour dégonfler le nombre de chômeurs, montrent à l’expérience qu’il n’en est rien. D’une part, les domaines susceptibles d’y recourir sont relativement peu nombreux et, d’autre part, les organismes intéressés fonctionnent le plus souvent sur des subventions de l’Etat.

Mais la conséquence la plus dramatique, c’est que le principe fondamental cité
ci-dessus ne semble reposer sur aucune base sérieuse car il est fondé sur une conception statique des mécanismes de l’économie qui suppose des causes identiques et, par conséquent, des effets de même nature. Est-ce pour nous rassurer, est-ce pour se rassurer ou tout simplement par incompétence que les bouleversements actuels ne donnent lieu chez nous à aucune réflexion sur le fond, pas plus qu’à des propositions nouvelles ?

Les pays développés, les pays émergents, ont tous tiré des conséquences de la situation. Les uns après les autres, ceux-là mêmes parmi les plus enclins au statu quo, ont dû repenser leur fonctionnement, leur gestion, en allant parfois jusqu’à des modifications drastiques de leur manière d’être et de gérer. Pourtant, et seuls en Europe, si nous ne cessons de "causer de réformes", non seulement nous n’avons pas entrepris les démarches les plus élémentaires mais nous nous refusons à toute réflexion qui s’affranchirait des traitements du passé. Nous vivons sous une gouvernance, au sens le plus général, qui n’est qu’un tissu reprisé et dont la trame remonte à près de cent cinquante ans. Autour de nous, selon les cas, créatifs ou
contraints et forcés, nos partenaires ont entrepris, parfois à minima certes, les "aggiornamento" nécessaires, sans hésiter pour la plupart d’entre eux à remettre à plat des héritages confirmés. Aussi quand le beau temps reviendra, en grande partie grâce à ceux qui auront su s’accorder à l’air du temps, nous serons pénalisés à plusieurs titres : celui d’une mécanique obsolète et poussive accompagné d’une philosophie complètement inadaptée. Nous repartirons en retard, nous ne recueillerons que les miettes qu’on nous aura laissées et de toute manière nos ambitions demeureront verbales, faute de les avoir préparées.

CINQUANTE MILLIARDS D’ÉCONOMIES

L’essentiel du plan qui nous est proposé (une litote parce qu’il est ficelé à quelques virgules près) pourrait se résumer en une courte phrase : "Mes amis, nous allons dépenser moins que si nous avions dépensé plus, mais rassurez-vous nos dépenses augmenteront quand même !"

En effet, une bonne partie de la somme annoncée sera financée par des augmentations d’impôt(s) plus ou moins subtiles et une confiscation de pouvoir d’achat.

L’augmentation d’impôts ? Simple et de bon sens : les barèmes des tranches
d’imposition ne seront pas réajustés (une mesure de justice sociale puisqu’elle frappe toutes celles et ceux qui paient l’impôt, soit moins dune famille sur deux).

Une confiscation de pouvoir d’achat ? Le maintien du gel des avancements de la fonction publique et du point d’indice (encore une mesure de justice sociale qui frappe ce corps de privilégiés, les fonctionnaires), un retard à la valorisation des retraites de tous assaisonné d’un zeste de démagogie, cette fleur jetée à celles et ceux qui végètent en catégorie C (pour les fonctionnaires) et les retraites en-dessous de 1200 Euros mensuels. L’un dans l’autre, le pouvoir d’achat des particuliers, parfaitement assimilable à une hausse d’impôts déguisée, aura quand même perdu deux ou trois points.

Toujours dans le même registre des augmentations d’impôts, la diminution annoncée des subventions aux échelons locaux (région, départements, etc...) sera accompagnée par une augmentation des prélèvements locaux.

Les entreprises enfin ! L’accumulation des usines à gaz (quel que soit leur nom de bap-tême) dont on ne sait pas réellement si elles ne se chevauchent pas et dont la mise en œuvre sera loin de profiter à tous, apparaît déjà comme inégalitairement conçue. En outre, les allègements qu’il a fallu leur accorder sont quasiment annulés par des réclamations de contreparties nées d’une réflexion économique de degré zéro.

Comme a dit Boileau ;" Vous voulez dire il pleut, dites il pleut !" Il s’agit bien d’économies mais celles-ci constituent un plan d’austérité. Puisque la France est incapable d’économiser sur son train de vie public, elle réduit brutalement le train de vie de ses citoyens, soit directement en frappant les individus, soit en rackettant des structures locales. En fait, il ne s’agit pas d’économies au sens réel du terme. En effet, l’Etat ne dépense pas moins, il se contente, nous dit-il, de ne pas augmenter ses dépenses (ce qui reste d’ailleurs à observer). Comme nous le disons en tête de ce texte, il se contente de nous promettre de dépenser moins que s’il avait dépensé plus… ce qui ne veut rien dire. En gros, l’idée est d’appeler "économies", une levée d’impôts supplémentaires.

Si les pouvoirs publics continuent à raisonner sur les bases actuelles, le déficit arrivera, peut-être, à être ramené à 3%, mais le problème de la dette restera entier. Toutes choses étant égales, les conditions qui président à l’établissement du budget n’aurons pas réellement évolué. Et nous n’aurons aucun moyen de parvenir à assurer un programme de remboursement de la dette de l’Etat avant longtemps.

Bref une accumulation d’ajustements financiers qui, quel que soit, par ailleurs, le "volume d’économies" annoncé, ne s’accompagnent d’aucune réforme structurelle. Il semble que les Pouvoirs publics n’aient pas envisagé les bouleversements de la gouvernance, pas plus que ceux de l’administration. La diminution du nombre de régions semble se réduire à des fusions hâtives sans même que soient envisagés d’éventuels remodelages, hormis, probablement, ceux qui relèveront d’une cuisine électorale ou de l’organisation générale de la mécanique d’utilisation des pouvoirs régaliens (éducation, formation, santé, rapports de production et code du travail, justice).

Mais si, abandonnant toute référence au passé, nous saisissions la situation présente, quelles mesures faudrait-il prendre et quels bouleversements entamer ?

LES YEUX OUVERTS

Sans doute les institutions de sondage ont-elles depuis longtemps interrogé les français et les françaises de tous âges sur leur appréciation de l’état de notre pays. Sans doute aussi ont-elles demandé à ces échantillons représentatifs quels seraient les efforts, sinon les sacrifices qu’ils et elles consentiraient pour envisager de rétablir la situation et pour combien de temps. Sans doute, enfin, toujours ces mêmes institutions ont-elles cherché à savoir quelles remises à plat les citoyens et citoyennes envisageraient pour replacer notre pays dans le monde.

Sans doute sans doute... Mais pourquoi les résultats de telles enquêtes n’ont jamais été rendus publics ? Serait-ce que jamais personne n’aurait pensé à une telle démarche ?

Les "Humeurs" n’ont malheureusement pas les mêmes capacités matérielles d’atteindre un public diversifié, des échantillons importants et nationalement répartis. Mais au cours de ces dernières années, elles ont pu rencontrer, écouter et entendre de nombreuses réactions aussi bien provinciales que parisiennes issues de milieux très différents. Le sentiment le plus courant est celui d’une France hors du temps présent, sans avenir collectif, sans Etat, sans projet, bref un pays où la douceur de vivre est affaire de souvenir. Un souhait, partagé celui-là : qu’un, que des "politiciens" disent haut et fort l’état réel dans lequel nous nous trouvons, qu’ils nous parlent de la dette, du déficit et des raisons pour lesquelles nous glissons insensiblement vers la faillite et ce qu’elle signifierait. Qu’ils nous disent, enfin, que la crise, si elle a accru nos difficultés, celles-ci sont d’abord la conséquence d’une inadaptation profonde et générale aux temps présents. Cela dit, que proposerions-nous si nous étions réellement consultés, qu’envisagerions-nous d’accepter pour tenter de retrouver la maîtrise de nos destins ?

Deux chantiers à ouvrir simultanément !

1. Stopper la dérive actuelle

• Repasser aux 40 heures de travail hebdomadaires payées 35 pour une période de cinq ans.

• Rétablir la défiscalisation des heures supplémentaires.

• Dégonfler les effectifs de la fonction publique nationale et territoriale en interrompant le recrutement, c’est-à-dire, entre autres, en ne remplaçant plus les départs à la retraite pendant les cinq ans à venir.

• Avant même d’entamer une réforme plus profonde des retraites, repousser immédiatement l’âge des départs.

• Simplifier toutes les procédures d’embauche et de licenciement en créant
provisoirement (en attendant l’écriture d’un nouveau code du travail) un contrat de travail universel se substituant aux CDD et CDI actuels.

• Réserver les bénéfices des mesures sociales aux seuls ressortissants des pays qui offrent à nos nationaux les mêmes avantages.

La mise en œuvre de ces décisions devrait conduire à des résultats marquants au bout de quelques mois, un an tout au plus. Elles devraient demeurer en vigueur jusqu’à ce que les propositions envisagées ci-après soient soumises à l’approbation du peuple français. Une approbation qui aura valeur d’engagement individuel.

2 . Entreprendre un aggiornamento véritable

• remettre à plat l’ensemble des organismes et des procédures d’administration et de gestion en se servant intelligemment des institutions de la République :

au Sénat d’étudier et de proposer des solutions aux problèmes relatifs à l’organisation territoriale (réforme de la gestion administrative, fusion des communes, suppression des départements, fusion des régions avec redéfinition des périmètres, en inventant les nouveaux domaines de compétence des différents niveaux retenus) ;

à l’Assemblée nationale avec l’aide des institutions adéquates (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour des Comptes) de procéder au nettoyage de la bibliothèque législative en supprimant définitivement les textes de lois et de règlements devenus inutiles ou inadaptés et d’envisager les procédures en vigueur et les formes à mettre en œuvre en matière de justice, de fiscalité, d’éducation et de santé compatibles avec le monde moderne ;

au Conseil économique et social d’analyser les meilleures conditions de création de la richesse nationale, d’établir un code du travail simple et opérationnel, moins fondé sur l’histoire des conflits sociaux que sur les modalités d’un fonctionnement rationnel du monde de la production, du commerce et de la banque.. A cet organisme aussi d’apporter son concours et son expertise aux travaux de l’Assemble relatifs au fonctionnement et à la fiscalité des entreprises.

Une règle générale  : à part les membres des conseils institutionnels, la fonction d’élu du peuple -et c’est bien normal- n’exige aucune capacité professionnelle. Dans ces conditions, les démarches entreprises devront être impérativement accompagnées de l’avis de professionnels reconnus comme tels par les milieux auxquels ils appartiennent (géographes, sociologues, juristes, etc...). Plus jamais, nous ne devrions assister au "retoquage" d’une loi par une de nos institutions de contrôle.

Une démarche constante : en utilisant les moyens modernes de communication, associer les citoyens à ce gigantesque mouvement de création d’un Etat moderne.

Cela fait, après approbation bien sûr du corps électoral, ces décisions seront mises en œuvre et elles apporteront l’indispensable correction à des comportements administratifs, législatifs et individuels datant d’un autre temps et surtout, responsables de la plus grande partie de nos difficultés actuelles.

On peut rêver..., mais vous, qu’en pensez-vous ?

Romain JACOUD
mai 2014


jeudi 1er mai 2014, par Romain Jacoud (Date de rédaction antérieure : 1er mai 2014).