Ce n’est pas de l’anarchie mais une incohérence générale !

 Quel que soit le secteur, nous pouvons chaque fois observer que la collectivité se substitue à l’individu en lui retirant toute responsabilité dans la dégradation de sa situation. D’abandon en abandon, vient alors le moment où il devient incapable même de se nourrir en portant lui-même à sa bouche la tartine salvatrice. La charité, serait-elle publique, laïque et obligatoire, est le premier pas vers la déchéance de l’assisté. 


Ce n’est plus de l’action mais le spectacle de la récitation d’une litanie qui semble n’être plus qu’une mauvaise déclinaison de l’inventaire de Prévert. L’énumération des sujets les plus anodins masque mal une absence totale de la mention des problèmes, des maladies même, qui frappent notre groupe, qu’il soit réduit à la France ou étendu à l’Europe, voire au monde.

Des radars au bord des routes au prix du tabac, de l’exaltation nouvelle à propos des pertes accidentelles de fœtus, de la cohésion socia-sociétale relevée sous son angle le plus étroit d’une expression épidermique de la laïcité, des polémiques minables au sujet des catastrophes naturelles (canicule, incendies de forêts, épidémies diverses), la liste n’en finit pas de ces questions dont l’énoncé est une éclatante manifestation d’un aveuglement quasiment général. Tout se passe comme si les maux fondamentaux étaient ignorés au profit de la considération de leurs multiples effets, les plus élémentaires étant les plus unanimement dénoncés.

Est-ce la peur des conséquences d’un parler vrai, est-ce une ignorance totale des capacités individuelles et collectives des citoyens ou, peut-être plus grave au point de ne plus laisser quelque place à l’espoir, est-ce enfin la perte définitive de confiance dans l’idée même que le groupe permet, mieux que l’isolement, d’améliorer les conditions de survie de chaque individu ?

L’échec est-il devenu le seul objectif accessible à notre organisation socio-sociétale actuelle au point que nous nous consacrons à l’organiser de la manière la plus rationnelle ?

RINGARDS ? CERTES !

Un écho radiophonique.ou télévisé...? Nous ne savons plus : une maison des parents vient d’être créée ou des parents peuvent trouver des conseils pour les "premiers temps" de la vie d’un enfant (hygiène, alimentation, petits dérangements de santé, habillement, ... etc, bref les mille et un gestes quotidiens).

[L’énoncé des services ainsi proposés nous a rejeté une soixantaine d’années dans le passé (1940, pour être précis). Elève, à l’époque, de l’école communale d’Albas (Lot), nous étions muni d’un livre de morale et d’instruction civique où, après des considérations d’ordre général sur le fonctionnement quotidien de la République, la tenue des comptes et l’organisation financière du ménage, l’ouvrage comportait deux parties, l’une consacrée aux garçons et l’autre, aux filles. La partie des filles traitait de la couture, de la cuisine, du ménage, des conserves, des confitures, ainsi que de tout ce qui concerne l’entretien et la surveillance d’un enfant en bas âge (de la naissance à l’entrée à l’école maternelle, 3 ou 4 ans à l’époque). La partie réservée aux garçons traitait d’instruction civique, de l’entretien des machines agricoles, de la culture en général et plus précisément du jardin potager (nous nous souvenons encore de la dimension optimale d’un jardin familial pour nourrir une famille de quatre personnes : un carré de 20 mètres de côté, et même si la taille des planches réservées aux différentes productions nous échappe aujourd’hui, nous avons le souvenir des propositions relatives au choix des légumes, aux surfaces des planches respectives, comme des conseils de culture, de semis, de rotation des plantations et de leur succession annuelle, jusqu’aux dispositions relatives aux herbes d’accompagnement..., sans oublier la place réservée aux fleurs de la maîtresse de maison) mais aussi de tout ce qui relevait de la gestion technique de la maison, de l’installation électrique, de l’alimentation de la cheminée et de la cuisinière en bois, voire en charbon ou en charbon de bois (sans en omettre le processus de fabrication), des diverses pompes de distribution. Bref, cet intéressant ouvrage, destiné à la classe de fin d’études (à l’issue de laquelle les élèves se présentaient à l’examen du Certificat d’études) apportait toutes les informations nécessaires à la tenue de la maison et à une gestion élémentaire de son univers agricole puisqu’il y ajoutait la gestion de la basse cour, de l’étable et de la culture des quelques hectares que comportait alors toute exploitation agricole de taille moyenne. Dans la mesure où le département du Lot appartenait à la liste des territoires où la culture du tabac était autorisée sous le contrôle étroit de l’administration idoine, le livre comportait un supplément qui traitait spécifiquement de cette culture.]

Ainsi, garçons ou filles, titulaires du C.E.P., étaient munis des savoirs minima qui leur permettaient de prendre place dans l’univers productif de la campagne... Sans exiger de l’Etat ou des Administrations locales de réinventer une bureaucratie spécifique pour apporter aujourd’hui ces savoirs élémentaires autrefois distribués sans façons par une Ecole publique dont le rôle était de préparer les enfants à devenir des membres du groupe capables de se prendre en charge au plus vite.

Le regard que nous pouvons porter à présent sur ce qu’est devenue cette école publique, initialement école d’un civisme au sens le plus large, qui fondait quotidiennement l’établissement de la notion d’appartenance au groupe local comme plus largement à la Nation, nous montre qu’elle est doublement déficiente ;

Déficiente parce qu’elle ne donne pas aux élèves les outils qui leur permettent d’adhérer à la société, lire, écrire, compter, observer, faire partager le résultat des observations. Déficiente parce qu’elle ne leur donne pas les fondements de leur appartenance, civisme, politesse collective, participation à la vie de la Cité.

En fait, nous pouvons constater que les questions qui nous sont posées et que nous avons citées plus haut, ne correspondent en rien aux problèmes fondamentaux dont elles ne constituent que des aspects relativement mineurs.

Chaque fois que ces problèmes sont cités, les censeurs de la modernité lèvent le drapeau de la lutte contre la ringardise. Par exemple, il n’est pas d’enseignement qui ne soit l’expression d’un "à quoi ça sert". Pourquoi, les fils d’immigrés vont-ils à l’école ? Réponse moderniste : pour réussir leur intégration. Question subsidiaire : mais ont-ils envie de s’intégrer ? Nous sommes-nous jamais posés la question autrement que dans la clandestinité et sous peine d’être traités de racistes, de ringards, voire de fascistes. Pourtant, le désir d’immigration est-il automatiquement appuyé sur un désir d’intégration ? Peut-être ; peut-être mais nous sommes-nous jamais posés la question ? Et si ce n’était pas le cas, est-ce que cela rendrait pour autant le désir d’immigrer illégitime ? Et pourquoi, certaines populations souhaitent-elles immigrer ? Penser la question sent déjà le fagot, la poser est un crime contre la tolérance et les droits de l’homme. Aurions-nous si peur des réponses que nous pourrions entendre ?

RINGARDS ? ENCORE !

Ce refus des questions les plus évidentes et, par conséquent les plus crues, car elles nous renvoient des images de la réalité qui sont contradictoires avec l’ambiance irréaliste que nous inventons pour nous valoriser. Chaque jour, pourtant, les valeureux défenseurs d’un monde meilleur que nous sommes se heurtent à des réalités dérangeantes que nous essayons de nier en déformant les observations faites, voire en les oblitérant le plus effrontément du monde.

Tabac ? Voilà plus de quinze ans que notre éminent collègue, le Professeur J.J. ROSA, dans un mémoire très documenté, a mis en évidence que les taxes sur le tabac dépassaient de très loin le montant des sommes mises en jeu par les organisemes sociaux pour le traitement des cancers de fumeurs. Comme le montant des prélèvements n’a cessé d’augmenter... !!! Mais que penser de ces "victimes" qui se retournent maintenant contre l’Etat et les fabricants, malades après avoir fumé pendant des décennies en clamant aujourd’hui : "nous sommes des victimes, nous ne savions pas". Outre que cet argument ne tient pas, si nous le prenons quand même en compte, il faut que nous assumions le fait que ces mêmes "victimes" seraient parfaitement au courant de procédures bien plus compliquées et subtiles au moment de glisser dans une urne "démocratique" un bulletin qui porte sur l’avenir de leurs semblables. Alors, stupides face au tabac et brusquement intelligents quand il faut voter... la ratification du traité de Maastricht, par exemple, ou élire des dirigeants ? Curieux, non ?

Nous allons légiférer sur le voile des musulmanes. Mais nous sommes-nous posés la question de l’existence de la Nation, de son rôle, de sa nécessité ou, éventuellement de son inutilité ? Avons-nous tenté d’envisager la coexistence d’une philosophie communautaire et du fait national, voire européen ? Une communauté est-elle assimilable au fait régional ? Quelle relation existe-t-il entre le développement du communautarisme et le refus de l’intégration ? Et, le questionnement ne fait que commencer. Alors, dans ce monde d’événements que nous refusons de lire parce qu’il se heurte à ce nouveau totalitarisme qu’est le "politiquement correct", jusques à quand, jusqu’où allons-nous continuer d’ignorer une réalité qui se délite, faute de nous prendre en charge ?

De toutes ces questions relativement mineures qui nous agitent ou, pour être plus lucides, que les médias agitent sous nos yeux, il n’en est pas une qui ne soit le paravent d’une question fondamentale dont il semblerait que tout est fait pour qu’elle ne soit pas posée.

Ainsi, par exemple, un certain nombre d’étudiants sont dans les rues. Bien. Ils réclament l’abandon de projets de lois dont il paraît que le contenu qu’ils en dénoncent n’a rien à voir avec la réalité des textes. Mais avant même de se poser des problèmes d’exégèse, il est quand même intéressant de se poser quelques questions sur la nature des universités qui se mobilisent. Seraient-ce des scientifiques, des médecins, des pharmaciens, voire des avocats ? Oh que non ! Ceux-là ne demandent que d’être "européennement harmonisés"..., leurs emplois futurs sont à ce prix. Ceux qui protestent appartiennent à des enseignements dits de culture et clament haut et fort leur droit à "ne pas se préparer à un métier" mais à acquérir des savoirs professionnellement inutiles et culturellement valorisants(?). Mais comme certains chercheurs que nous citions le mois dernier, ces étudiants ont-ils réfléchi un instant à l’origine des crédits dont ils réclament l’attribution sans envisager que des comptes soient demandés de leur utilisation ? Ont-ils jamais imaginé que ce "cochon de payant" que nous sommes pourraient attendre d’eux qu’ils remboursent les frais qu’a nécessité leur formation en apportant leur contribution au développement de la société et à l’enrichissement du groupe ? Et quand par hasard, le sujet leur est proposé, ils répondent soit par le dédain, soit par un goût immodéré et bizarre pour un poste dans la Fonction publique. Parallèlement à ce désir de cocon permanent qu’ils expriment comme s’il leur était dû, ils refusent clairement de se fondre dans une hiérarchie contraignante. En somme, des droits, rien que des droits, la notion même de devoir étant absente de leur vocabulaire comme de leur comportement.

De quelque côté que nous nous tournions, ceux-là mêmes qui devraient être le "sel de notre terre" ne sont que des conformistes frileux. Ils se cachent derrière un discours qui paraît révolutionnaire mais qui ne se réfère qu’à des idéologies qui s’appliquaient à un monde qui disparaît sous nos yeux.

RINGARDS ? PLUS QUE JAMAIS !

Des conformistes frileux, assoiffés de protections de tous ordres qui, comme disait un grand député de droite surnommé "le bouillant Alexandre" (Monsieur A. SANGUINETTI) "... qui attendent que l’Etat les assure le jour de leur naissance que leur cercueil leur sera remboursé par la Sécurité sociale". Le lourd manteau du "politiquement correct", doublé du refus indigné de toute remise en cause, s’est abattu sur la quasi totalité de la population.

Déclin ? Peut-être ! En tout état de cause, il se marque probablement moins par le recul de la France au tableau d’honneur européen que par l’hémorragie constante des jeunes entrepreneurs en fuite vers des cieux plus attentifs au progrès et aux opportunités de créer.

Mais, en fait, le problème est ailleurs. Louis XIV, déjà, pensait que toute entreprise procède de l’Etat. En dignes héritiers de cet astre omnipotent, nous avons toujours préféré subventionner que détaxer. Si, à l’arrivée, il semble apparaître que le résultat est le même, ce n’est qu’une illusion. En subventionnant, l’Etat s’assure la maîtrise, croit-il, du développement en contrôlant le flux des aides, voire leur emploi. Il oublie que l’économie n’est qu’une science aléatoire et que les entreprises se dirigent du bureau directorial, l’œil fixé sur le compte d’exploitation et le carnet de commandes. Diminuer les taxes, c’est permettre à chaque entreprise de développer sa compétitivité comme elle l’entend, c’est lui donner la possibilité d’intervenir sur le marché dans des conditions dont elle est maîtresse, bref la libérer du joug d’une administration qui ignore les contraintes nées des idiosyncrasies des consommateurs.

Mais diminuer les taxes, c’est aussi abandonner une politique de prise en charge, c’est rendre aux différents opérateurs une autonomie et une indépendance qui semblent avoir disparues du paysage français à tous les niveaux et en toutes circonstances. Plus rien ne se résout dans le cadre de négociations ouvertes L’accumulation de lois ne permet plus de développer des solutions originales tellement l’univers des possibilités a été réduit au point que la forme bride le fond en uniformisant toutes les démarches de manière suicidaire. Même l’émeute ne procure plus ce degré de liberté qui permettait aux pires moments du passé d’introduire une respiration indispensable sans laquelle il n’est pas d’espace offert à la créativité.

Bref, la France ne décline pas, elle s’étouffe.

Comment tenter de lui redonner le sens de la respiration ? Quand les abcès refusent de s’ouvrir, il ne reste que les méthodes les plus sauvages : le "parler vrai" accompagné de mesures à applications immédiates et d’une dénonciation imagée des refus passéistes.

Quel que soit le secteur, nous pouvons chaque fois observer que la collectivité se substitue à l’individu en lui retirant toute responsabilité dans la dégradation de sa situation. D’abandon en abandon, vient alors le moment où il devient incapable même de se nourrir en portant lui-même à sa bouche la tartine salvatrice. Si nous ne mettons fin à ce processus qui commence à l’instant même de la première intervention inappropriée de la puissance publique, l’incohérence socio-sociétale conduira à l’établissement d’une jungle où l’esprit d’entreprise des prédateurs sera le seul moyen de survie. Retrouver le sens de la responsabilité individuelle semble être le seul moyen d’éviter cette dégradation suicidaire. Etre responsable, cela signifie payer soi-même le prix de ses erreurs et cela ne s’apprend que sur le tas.

Alors ? Il ne tient qu’à nous tous... Et, surtout, n’oublions jamais que ‘la charité, fut-elle publique, laïque et obligatoire, est le premier pas vers la déchéance de l’assisté.

Qu’en pensez-vous ?

Romain JACOUD


lundi 24 novembre 2008 (Date de rédaction antérieure : décembre 2003).